Square de la Butte du Chapeau Rouge - Paris 19ème
"Le Square de la Paix"
Histoire de mon quartier : La Mouzaïa
Réunion au sommet
Le square de la paix, telle pourrait être l’autre dénomination du parc de la Butte-du-Chapeau-Rouge. Et pas simplement parce que cet îlot de verdure est peu fréquenté. Mais surtout parce qu'ici se rassemblaient, au début des années 1910, les syndicats et mouvements politiques de gauche défendant des valeurs pacifistes.
Imaginez alors que sur ces quelque cinq hectares surplombant tout l’Est parisien, un jour de mai 1913, près de cent cinquante mille personnes se sont réunies autour de Jean Jaurès improvisant un discours en faveur de la paix.
Mai 1913, square de la Butte du Chapeau Rouge, Jean Jaurès improvise un discours en faveur de la paix, devant cent cinquante mille personnes !
Le dimanche 25 mai 1913, au Prè-Saint-Gervais, au lieu-dit la butte du Chapeau-Rouge, à proximité de Paris (aujourd'hui Paris 19e), la SFIO organisait un rassemblement populaire. L'image du tribun socialiste s'adressant à la foule de 150 000 personnes devait rester dans la mémoire collective.
Extrait du discours de Jean Jaurès le 25 mai 1913 :
Les premiers orateurs se sont déjà exprimés. Un homme (le conseiller fédéral suisse Brustlein) descend du promontoire de fortune établi au faîte de la butte et marqué d'un grand drapeau français planté à même le sol
.Depuis la butte du Chapeau Rouge de Pré-Saint-Gervais, une foule compacte est réunie. L’atmosphère est détendue, chaleureuse, à l'image de ce jour de mai ensoleillé qui lui donne cadre.
La foule est en liesse. Elle acclame l'orateur. Tout au long de ce discours, elle ne cessera d'intervenir pour appuyer et acclame la parole de Jaurès.
La foule :
Vive la Commune !
A bas les trois ans !
Un militant à un autre qui se tient à ses coté :
Papa Soleil est contre les trois ans.
La foule :
A bas les trois ans !
Jaurès monte à la tribune est est accueilli par une ovation.
La foule :
Vive Jaurès ! Vive la Sociale !
Jaurès prend place face à la foule, s'accrochant au drapeau flottant sur la butte
La foule réclamant Jaurès dans toutes les directions
Par ici !
Par ici !
Jaurès à tous :
Il est inutile que vous me demandiez de vous parler à tous en même temps.
Il n'y a pas de parole humaine qui puisse égaler la force collective de démonstration qui est en vous.
La foule rit et ovationne Jaurès de plus belle.
En nous retrouvant ainsi, de façon si résolue, si calme, nous montrons au pouvoir qu'il aura en face de lui une force vaste et organisée.
Nous tous qui sommes ici ne sommes ni une troupe réduite, ni une cohue impulsive et énervée mais une multitude qui sait se discipliner elle même.
Des marques d'approbation et des acclamations surgissent de la foule.
Une grande force maitresse de soi et persévérante qui luttera jusqu'au bout, jusqu'à la victoire, sans se laisser effrayer, sans se laisser égarer.
Une voix dans la foule :
A bas les trois ans !
Une autre voix :
Vive Jaurès ! Vive la Commune !
Jaurès :
Le peuple de Paris a maintenu son droit, il l'a exercé largement et sagement et il a déjoué les vilaines espérances des réacteurs qui spéculaient sur ses désalliances ou qui s'apprêtaient à terroriser "par le spectre de l'anarchie" les républicains qui ne veulent pas de la loi des trois ans.
Par cette journée le prolétariat de la Seine ajoute à la force du Parti Socialiste et de la démocratie républicaine.
Tant pis pour ceux ; quels qu'ils soient, qui ne voudront pas voir !
Acclamations
Si l'état-major peut apporter dans sa mobilisation la même sûreté, la France n'est pas en péril.
La foule :
Vive la France !
Jaurès invitant la foule au calme d'un geste de la main :
Mais malgrè la joie qui emplit nos coeurs devant le magnifique spectacle d'aujourd'hui, j'aurais dans l'âme une tristesse, si de là-bas, où ils sont coreliés les morts héroïques de la Commune ne nous entendaient pas.
La foule :
Vive la Commune !
Jaurès :
[A relier : Jaurès glorifie les victimes de la répression versaillaise]
Ils n'avaient pas lutté pour se ménager de vains honneurs pour les joies du pouvoir, ils avaient combattu pour préparer un avenir de justice. Leur foi, leur ardeur doivent être un exemple car c'est, cette foi, cette ardeur qui fait notre force et qui fera la force des générations nouvelles.
C'est le flambeau d’espérance, de foi, qu'a évoqué Vaillant, l'autre jour à la Chambre, et savez-vous ce qui est apparu, alors que nous avons eu la minorité numérique, mais la majorité morale ? C'est que nous luttions pour la France que des mains incapables mèneraient à l'abattoir ; pour la République, que des adversaires sournois ou avoués cherchent à étouffer !
Et savez-vous pourquoi ils nous haïssent, ils nous injurient tant ? C'est parce que nous avons fait la preuve du néant de leur intelligence.
En face du Parti Socialiste uni, nous avons vu un gouvernement arrogant et faible, insolent et paralysé, qui se tournant vers le Père-Lachaise disait : "Je frappe" et vers le Prè Saint-Gervais déclarait : "Je permets." Il n'avait pas confiance dans son droit.
Les cris et applaudissements s'amplifient :
Il faudra que M. Poincaré choisisse ! Lui et ses gouvernants d'aujourd'hui et de demain devront sortir du marais dans lequel ils se trainent. Il faudra qu'ils reviennent vers le peuple, comme le voyageur égaré revient vers la source pure ; ou bien il faudra qu'ils aillent vers la réaction déclarée. Mais je cherche quel sera le géant qui pourra tenter l'étranglement de la République.
Le gouvernement et ses amis s'indignent des manifestations militaires qui se sont produites. Or, il y a deux mois que nous publions les extraits des lettres des soldats, et ils disent: "Il y a donc un volcan ?" Quoi ! ils n'avaient donc pas vu la fumée ?
Rires
Ils disent encore qu'il y a un complot organisé par le Parti Socialiste et par la C.G.T. Il paraît que socialistes et syndicalistes se sont glissés la nuit dans les chambrées, et ils ont dit aux soldats, qui ne savaient rien de la mesure prise contre eux : "Protestez !"
Un gouvernement qui raisonne ainsi a-t-il vraiment deux yeux par tête ?
Non ! Non ! il n'y a pas besoin de complot. Les soldats savent le prix du temps, parce qu'ils savent la valeur du travail.
Faut-il encore dire l'espérance des travailleurs soldats qui attendant impatiemment la libération pour pour aider à la famille, subvenir aux besoins d'une vieille mère, fonder un foyer.
Et quelle a été leur déception lorsque , tout à coup, on leur a dit : "Vous resterez un an de plus à la caserne".
Réactions vives de la foule :
Le paysan qui sait l'inutilité de la troisième année de régiment se disait : "J'ai là-bas la terre qui n'a pas besoin d'une troisième année mais d'une année tous les ans", et il s'élève contre la décision qui le frappe.
Acclamations
On veut, paraît-il, dissoudre la Confédération et le Parti Socialiste et la presse réactionnaire accuse le gouvernement de lâcheté s'il ne me fait pas arrêter. Comme il y a, encore, dans le prolétariat, des inconscients, des accablés qui n'avaient pas compris notre action, on leur dit ainsi : "Ce sont les socialistes et les syndicalistes qui vous défendent !"
Une voix dans la foule :
Vive la sociale !
Jaurès :
Messieurs les ministres, merci !
Rires :
C'est avec confiance que nous reprendrons la bataille demain alors que nous entendons encore la rumeur de la foule d'aujourd'hui mais je veux, encore une fois, à travers cet azur en votre nom envoyer notre commun hommage aux morts immortels de la Commune !
Foule (ovation, des chapeaux rouges s'agitent)
Vive la Commune ! Vive Jaurès
* Sources : http://loic.deconche.com/theatre/ecriture-theatre/72-discours-du-pre-saint-gervais-jaures-25-mai-1913